François Bayrou n’a pas donné de consigne
de vote pour le deuxième tour lors d’une conférence de presse. Il
considère que "Nicolas Sarkozy va aggraver les problèmes de la
démocratie et la fracture du tissu social". Il estime également que
"Ségolène Royal va aggraver durablement les problèmes de l’économie et
l’un comme l’autre vont déséquilibrer le déficit et la dette". François
Bayrou a annoncé la création du Parti démocrate "pour changer
définitivement la politique française" : Les Français "trouveront pour
les représenter une force de contre-pouvoir, libre, capable de dire oui
si l’action va dans le bon sens et non si elle va dans le mauvais sens.
Capable, autrement dit, de faire sortir la politique des réflexes du
toujours pour et du toujours contre, pour défendre l’intérêt général".
Mesdames, Messieurs,
Je n’ai à cet instant que deux sujets à l’esprit. Le premier sujet, c’est
la France, que j’ai scrutée pendant ces mois de campagne électorale, que j’ai
rencontrée en milliers de visages différents, la France qui s’inquiète, qui souffre, qui est
déchirée, bien plus qu’elle ne l’a jamais été, et en même temps, la France riche de
potentiel, riche de promesses, la France qui voudrait y croire.
Et j’ai à l’esprit aussi, et plus que tout, les quelque sept millions de Français
qui m’ont donné leur confiance, qui ont mis leur espoir dans cette démarche nouvelle, faisant
surgir d’un coup la troisième force politique française, la seule force nouvelle de notre
pays. Les sept millions de Français et tous ceux qui ont eu à un moment ou à un autre l’envie
de se joindre à eux, et parfois qui le regrettent. Cela fait un immense espoir.
Il y a désormais dans notre pays trois forces politiques, une à droite, une à gauche, et une
au centre. Et c’est le centre qui est la force nouvelle.
Je veux vous parler de l’avenir.
La France a trois problèmes : nous sommes un pays à la démocratie malade ; nous sommes un
pays au tissu social déchiré ; nous sommes un pays en manque de croissance.
Notre démocratie est malade de la confiscation du pouvoir, de l’incapacité à faire
vivre le pluralisme, des difficultés de la presse, de l’absence de séparation des pouvoirs, y
compris du pouvoir économique, de la connivence entre les mondes des affaires, médiatique et
politique, de la crise de la justice. Le citoyen n’a pas l’impression d’y trouver
sa place. La société civile y est méprisée.
Nous avons à reconstruire, depuis les fondations, notre démocratie.
Le tissu social est déchiré. Partout on croise de lourdes misères, personnes âgées aux
ressources très faibles, travailleurs pauvres, difficultés de logement, partout la couleur de la
peau, la consonance du nom, la religion, dressent les Français les uns contre les autres, partout
le quartier où l’on vit, l’adresse postale, forment ghetto. Entre les policiers et les
jeunes, entre les différents quartiers, entre personnes au travail et personnes au chômage ou aux
minima sociaux, on se regarde du coin de l’œil, on s’épie, et on est prêts à
s’affronter. L’école elle-même, le lieu même de l’égalité des chances, est en
situation de doute et d’échec.
Nous avons à retisser notre société.
Nous sommes en panne de croissance. À ce sujet, on prend souvent l’effet pour la cause.
Nombre de nos compatriotes par exemple considèrent que le chômage et la faiblesse du pouvoir
d’achat sont des maux de notre pays. Ces maux sont des symptômes. Le mal c’est
l’absence de croissance. Si nous avions de la croissance, nous aurions des emplois (beaucoup
sont à libérer) et nous aurions du pouvoir d’achat à répartir. Beaucoup de nos compatriotes
considèrent que l’immigration est la cause de nos maux. La situation de l’immigration
est une conséquence. Un pays qui va bien sait intégrer, faire vivre ensemble. C’est
l’emploi qui intègre. J’ai rencontré des milliers de jeunes Français d’ascendance
immigrée. Ils m’ont tous dit une seule chose : donnez nous du travail et tout le reste
s’arrangera ! Donnez nous du taf !
Ma conviction est celle-là : les trois maux de la France, ils doivent être soignés et réparés
ensemble !
Or, parlons franchement : Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, dans le face à face sempiternel
de la droite sempiternelle et de la gauche sempiternelle, vont non pas réparer mais aggraver
l’un ou l’autre de ces maux.
Nicolas Sarkozy, par sa proximité avec les milieux d’affaires et les puissances
médiatiques, par son goût de l’intimidation et de la menace, va concentrer les pouvoirs comme
jamais ils ne l’ont été. Par son tempérament, et les thèmes qu’il a choisis
d’attiser, il risque d’aggraver les déchirures du tissu social, notamment en conduisant
une politique d’avantage au plus riche.
Ségolène Royal paraît mieux intentionnée en matière de démocratie, encore que le parti
socialiste n’ait rien fait quand il était au pouvoir pour corriger ces maux, plus attentive à
l’égard du tissu social, mais son programme, multipliant les interventions de l’État,
perpétuant l’illusion que c’est à l’État de s’occuper de tout, et
qu’il peut s’occuper de tout, créant je ne sais combien de services publics, va
exactement à l’encontre, en sens contraire, des orientations nécessaires pour rendre à notre
pays et à son économie leur créativité et leur équilibre.
Les deux candidats ont de surcroît promis une augmentation absolument délirante des dépenses
publiques, de l’ordre de 60 milliards d’euros chacun, dans un pays endetté comme le
nôtre, l’un des deux ajoutant une baisse totalement improbable des prélèvements obligatoires
dans une proportion que ni Reagan ni Mme Thatcher n’ont jamais approchée même en rêve.
Notre pays a un problème de démocratie, un problème de fracture sociale, un problème
d’économie, un problème de dette. Nicolas Sarkozy va aggraver les problèmes de la démocratie
et la fracture du tissu social, Ségolène Royal, par son programme, va aggraver durablement les
problèmes de l’économie et l’un comme l’autre vont déséquilibrer le déficit et la
dette.
De surcroît, par leur choix de l’affrontement camp contre camp, ils affaiblissent
durablement la France.
Dans les deux cas, sauf correction forte que je n’aperçois pas, et dont je tiendrai
compte si elles intervenaient, ce qui se prépare, après les belles promesses, c’est une
nouvelle déception du pays, une impuissance, une paralysie.
Dans cette situation, je ne donnerai pas de consigne de vote. J’estime que les Français
qui ont voté pour moi sont en conscience des citoyens libres de leur choix.
Je ne reviendrai pas en arrière sur notre chemin de liberté. Je ne cherche ni
n’accepterai aucune soumission ou ralliement à l’un des deux camps.
Je veux au contraire garantir aux Français que quel que soit le vainqueur, ils trouveront
pour les représenter une force de contre-pouvoir, libre, capable de dire oui si l’action va
dans le bon sens et non si elle va dans le mauvais sens. Capable, autrement dit, de faire sortir la
politique des réflexes du toujours pour et du toujours contre, pour défendre l’intérêt
général.